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APPRENDRE À PÂTURER LA RENOUÉE.

Avr 21, 2020

Entretien avec Eco & Co.

Anse

Je rencontre Laurent Volle à Anse, pas très loin de Villefranche sur Saône.  Nous nous retrouvons dans un troquet à l’entrée du village. Kelly, son associée nous rejoindra un peu plus tard. Éleveur ovin pendant une dizaine d’années, Laurent a ensuite encadré un atelier-chantier d’insertion dans lequel il travaille entre autres autour de l’éco-pâturage. C’est sur les bases de cette expérience qu’il a monté Eco&co la poursuite de cette activité qu’il pilote avec Kelly.

Parmi leurs différents chantiers, ils conduisent un troupeau de moutons dans une rénoutraie sous contrat avec le syndicat de rivière de la basse vallée d’Azergue. C’est une expérience pilote sur laquelle ils ont obtenu des résultats plutôt probants. Nous irons un peu plus tard visiter cette parcelle de 6ha, à quelques encablures de notre lieu de rendez-vous.

“Le premier technicien avec lequel on a travaillé pensait éradiquer la renouée. On s’est vite rendu compte que c’était plutôt illusoire ». Il s’agit davantage d’équilibrer la présence de la renouée et des autres espèces végétales. Les collectivités locales qui emploient les services de nos deux écopatureurs se montrent soucieuses de la biodiversité animale et végétale locale. Sous la pression des riverains elles cherchent aussi à trouver des solutions pour rendre accessibles les berges « envahies ». 

La parcelle que nous visiterons plus tard montre qu’en l’espace de quatre ans de pâturage, la biodiversité végétale s’est manifestement accrue et que la surface couverte par la polygonacée est bien moins dense qu’elle ne l’est dans la parcelle voisine qui n’est pas pâturée. En ce début du mois de janvier, nous progressons dans un paysage de berge assez surprenant.

Les inflorescences desséchées des polygonum ponctuent un sol déjà verdi par une grande diversité de plantes de zone humide. Arum, fenouil sauvage, oseille, cresson  … forment un tapis moelleux sur lequel nous marchons. Il bruine un peu et les tiges creuses craquent quand d’aventure nous les percutons.

En marchant, Laurent me dit que le pâturage ne se résume pas à une simple tonte. L’occupation même de la parcelle par le troupeau participe d’une redistribution et probablement d’un enrichissement de cet écosystème.  

Le pas du mouton arrondit le sol sableux des berges de l’Azergue dans un geste fécond. Il aura sur les épisodes de crues l’onglon, à défaut de main heureuse. La rivière préfèrera l’épanchement sur les pentes douces à d’autres formes plus brutales de sauts du lit. Le sol stabilisé par l’empreinte de l’ovidé restera là où il aurait été autrement emporté.

En apportant de la complexité au milieu, le mouton participerait à le rendre plus riche et donc plus résilient. Ce faisant, l’animal permettrait à la renouée d’intégrer un processus d’acculturation, de trouver ainsi sa place dans le paysage.

« On m’avait dit que les moutons n’allaient pas naturellement à la renouée. Qu’il faudrait sans doute leur préparer le boulot en coupant des feuilles.”  Avec son expérience d’éleveur, Laurent sait cependant faire appel aux capacités d’adaptation de son troupeau. Il a ainsi développé une véritable stratégie d’apprentissage. Il effectue  par exemple les agnelages au mois de mars dans la rénoutraie pour que les mères apprennent aux petits à se nourrir de renouée.

Cette cohabitation entre le mouton et la renouée forment paysage. Pour en rapporter l’expérience en ces jours d’hiver, l’étonnement se peint au visage de la vue de mondes à venir. Ces tiges desséchées et graphiques qui se découpent sur fond de prairie mutante ont un parfum d’étrangeté. On pourrait se dire en sortant de ce champs que quand l’enjeu n’est plus à produire ou défendre mais à occuper et s’unir, naissent des espaces inattendus. Que ne tentons nous alors d’avantage ?