CHAMPIGNONS SUR LIT DE RENOUÉE

Depuis le mois de février, nous expérimentons la culture de champignons sur substrat de renouée. Nous commençons cette aventure en retrouvant Pierre de la Ferme en chantier pour une formation à la culture de champignons. Nous sommes trois dans le labo que nous avons improvisé au sein d’une friche mise à disposition par l’EPASE et l’Amicale Laïque du Crêt de Roc, rue Denfert Rochereau. Quentin est avec nous ; il semble fasciné par la possibilité de faire pousser des champignons sur du broyat de renouée. Pierre commence sa transmission, sous nos oreilles attentives et nos yeux grands ouverts.

Le processus est rigoureux ; nous devons être minutieux pour mettre toutes les chances de réussite de notre côté. Pierre insiste sur la nécessité d’être « bien clean », c’est à dire d’avoir les mains désinfectées et de travailler dans un environnement nettoyé, afin de limiter la poussée du Botrytis qui pourrait concurrencer notre culture de pleurotes et de shiitakés sur renouée. Nous devrons par ailleurs éviter de toucher plusieurs bacs de cultures sans nous nettoyer les mains entre chaque. 

En avant pour la préparation du substrat de renouée !

Cette précaution prise, nous commençons la mise en culture en faisant bouillir du broyat de tige de renouée (grosse maille) afin de le pasteuriser. Cette étape permet d’éliminer des micro-organismes qui pourraient nuire à la culture de champignons. Nous veillerons toutefois à ne pas dépasser les 95°C pour ne pas tuer toute la vie microbiologique présente dans ce substrat : cette vie est nécessaire au développement de nos champignons. 

Après avoir égoutté ces morceaux pasteurisés de tiges de renouée, nous les mélangeons à de la chaux. Nous plaçons le substrat obtenu dans un sac de culture et l’inoculons de graines de pleurotes. Notre premier sac peut à présent rejoindre sa boîte noire, maintenue à 25°C et dans l’obscurité, afin que nos premières pleurotes se développent. Il ne reste plus qu’à arroser régulièrement ces sacs de culture.

Sauf que…

De retour à notre cher labo la semaine suivante, une odeur de champignons, à la fois douce et très présente, vient nous chatouiller les narines. Impatients, nous découvrons l’avancée de notre culture : la cueillette ne s’avère pas si bonne. Si certains sacs de culture se développent plutôt bien, d’autres voient leurs prémices de champignons sécher, commencer à pourrir, ou libérer une grande quantité de spores, témoins d’un stresse important chez le champignon. 

Un peu déçus, nous émettons des hypothèses : c’est vrai que nous ne pouvons pas nous déplacer au labo tous les jours pour arroser les cultures… C’est aussi vrai que la température émise par les résistances dans les boîtes noires ne peut pas être réglée… Nous décidons donc, face à ces facteurs, de ne plus uniquement vaporiser le sac de culture mais de réaliser un bain d’eau par sac au moment de l’arrosage afin de bien l’imbiber. À la fin du bain, nous vidons l’excédent d’eau pour éviter la pourriture de l’ensemble. Afin de nous faciliter la tâche, je mets en place un système pour égoutter les sacs de culture remplis d’eau. Nous les suspendons à une barre transversale. Les sacs étant micro-perforés, ils s’égoutteront progressivement au-dessus de seaux.

Les semaines d’après, au fil de nos passages successifs au labo, nous avons régulièrement des bonnes et des mauvaises surprises. Nous avons tout de même obtenu de beaux spécimens ! Mais nous avons aussi eu pas mal de perte. Peut-être par manque de minutie, ou par manque de régularité dans l’arrosage. Nous pouvons tout de même valider le fait que du substrat de renouée peut permettre la culture de champignons. Et nous émettons l’hypothèse que la récolte puisse être bien plus fructueuse dans d’autres conditions de culture. Malheureusement, nous n’avons pas encore pu goûter le fruit de notre récolte, puisque nous sommes toujours dans l’attente d’analyses quant à ces cueillettes : sont-elles comestibles ? Contiennent-elles des éléments traces métalliques ? Et si oui, en quelle quantité ? Ces quantités diminuent-elles au fur et à mesure des repousses de champignons ?

L’heure du premier bilan

Dans l’attente de ces analyses, nous exerçons une première prise de recul sur notre production. Face à l’idée de cultiver des aliments de manière locale, sur un substrat présent à proximité et poussant facilement, nous nous rendons compte que la mise en application n’est pas si simple. Le processus demande un nombre important d’intrants. Sacs de culture en plastique, bouteille d’eau en plastique (nécessité d’une eau peu calcaire), chauffage des boîtes de culture 24h/24, gel hydro-alcoolique, lingettes jetables désinfectantes, coton et essuie-tout sont autant d’éléments – non locaux, énergivores et issus d’une logique extractiviste – que nous avons utilisés pour notre culture expérimentale. Pour autant, nous restons convaincus que la mise en culture de champignons sur substrat de renouée pourrait être un outils d’une nouvelle pratique collective et culturelle de remédiation des sols, à condition que nous travaillions à réduire au maximum les intrants utilisés dans le processus, que nous arrivions à stabiliser la production et que celle-ci soit comestible.